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2ème tableau : Sacrifice
Cette deuxième toile a émergé lentement, à petits pas. J’ai commencé à la peindre en 2022 et j’ai mis le point final en 2024  

Il m’a fallu traverser des émotions contradictoires et violentes. J’avais en tête le jaune et j’ai peint une croix en jaune, au rouleau. Puis j’ai créé des espaces autour, des carrés dans le fond. Je n’étais pas satisfaite, j’ai peint et repeint cette croix une douzaine de fois. En 2023, je ne la supportais plus. Elle m’énervait, je ne voulais plus de ce sacrifice, je voulais vivre ! Quel sacrifice ? 

 

Avant ma crise de la quarantaine, avant la quarantaine de la COVID, je pesais 56 kilos. J’étais mince et en bonne santé. Je supportais mon corps, mon corps me supportait. Et soudainement, j’ai perdu du poids. Rien de médical n’est détecté. Je flirte avec la barre des 50 kilos. 50 kilos est ma limite basse en-dessous de laquelle je vais consulter un psy. Car des phases d’amaigrissement j’en ai déjà connu et je sais qu’en-dessous de 50 kilos, je ne vais pas bien : mon corps souffre et témoigne d’angoisses. Il ne veut plus garder ce dont j’ai besoin pour fonctionner. Je me sacrifie.  

Fais plaisir à maman, fais plaisir à papa, 

Ouvre grand la bouche et mange. 

C’est bio, c’est bon pour ta croissance. 

Qui suis-je pour mériter le sacrifice des animaux et des plantes ? 

Mange tes morts et tais-toi, 

Tais-toi, tu n’es plus toi et tu ne le seras plus jamais. 

Je contrôle, j’oublie, j’efface. 

Et mon corps me rappelle au souvenir. 

Il est le rempart du secret,  

Lui, il sait. 

Il sait le goût âcre, il sait l’étouffement. 

Il me le rappelle à chaque bouchée, 

Chaque bouchée que j’avale pour faire plaisir à maman. 

Le corps a ses raisons que la raison ignore 

Pourquoi vivre un éternel enfer 

Là où tout ce qui passe par la bouche me torture ? 

Au fond près de la luette, des pierres à chaque bouchée. 

Je crache quand la sensation vient, discrètement dans ma serviette. 

Puis avide, le corps presque inerte, la peau sur les os, 

J’avale tout ce que j’attrape et qui est comestible 

Vite, vite, pour oublier la nausée, 

Vite, vite, pour tromper les émotions. 

Mais les pierres ont changé de terrain et tombent dans mon ventre. 

Je suis lourde, engourdie, sale et pourrie. 

 

Sur le divan, je n’arrive pas à parler de ma mère. J’ai l’impression que si je parle, elle le saura. Je ne me sens pas en sécurité. Ma mère est tout pour moi, j’ai l’impression que si je parle d’elle, je la trahirais, et c’est impossible. Alors je me tais. Longtemps. Il s’agit de mon vécu et en l’exprimant je souhaite pouvoir m’en extraire. 

Mon enfance est banale. Ma mère est une bonne mère mais j’ai du mal à savoir, à sentir là où elle commence et là où elle finit, là où sont les limites entre nous. Aussi je peins des carrés, des rectangles au couteau pour donner un cadre à cet amour, me différencier et commencer à devenir moi-même. Il s’agit d’une nécessité car sinon, je vis les limites physiquement, avec mon corps en me rendant malade, à défaut de pouvoir les vivre mentalement et de pouvoir laisser exprimer qui je suis. Je ne le fais pas exprès, je n’en tire aucune fierté, c’est juste un moyen que j’ai trouvé de me crier que quelque-chose va au-delà de mes limites, ou bien est sans limite et qu’il convient que j’en mette. 

 

Dans ma vie professionnelle et personnelle, je vais souvent au-delà de mes limites. Apprendre à m’écouter et ne plus les franchir, apprendre à bien me traiter, à m’écouter est un long chemin. 

2024, je parle enfin de ma relation à ma mère sur le divan, je m’autorise. Et je reprends Sacrifice, ma vision du tableau nourrie de ce tumulte intérieur. Je finalise et j’ose afficher cette croix. J’assume ma part sacrificielle, parce qu’elle me sert à rester en connexion avec l’ombre en moi-même, les sentiments “négatifs” qui m’appartiennent et que je dois exprimer pour donner des limites à mes relations humaines. J’ajoute une forêt d’acacias, à la fois vivante et morte, qui touche le ciel, presque comme un rêve. J’ajoute des fils d’or dans les carrés et les rectangles de mon mental, comme on rafistole une porcelaine brisée avec de la feuille d’or. J’ajoute du sable dans la partie inférieure du tableau pour parler de l’aridité de ma vie affective.  

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