Des ombres se penchaient sur moi et je me sentais inquiète. J’avais peint ce rêve en rentrant chez moi sur un vieux carton. Je rapproche ce rêve d’un autre récurrent de mon enfance : je suis dans une maison et je ne peux pas sortir car toutes les portes et les fenêtres sont bouchées par une membrane qu’on ne peut pas franchir. J’étouffe.

(travail effectué deux ans plus tôt suite à une autre séance de psychanalyse qui traduit une première approche du travail final- je l'ai placé ici car en lien avec ce premier paragraphe)
Pour construire ce tableau, je me nourris du travail effectué durant 6 ans en formation professionnelle continue, en thérapie familiale systémique. J’ai pu explorer mes relations familiales sur 4 générations à l’aide de génosociogrammes, de présentations aux groupes de formations, de sculpture familiale, d’un entretien avec ma famille proche et d’un roman familial. Ne sachant pas faire autrement, je ne me suis pas contentée de rester en surface, j’ai approfondi, j’ai creusé l’histoire familiale à la recherche des ombres qui se penchaient sur moi dans ce rêve éveillé du ventre de ma mère. Je ne tiens pas compte de la maxime mise en valeur lors des sessions de formation et qui m’appartient : pour vivre heureux, vivons cachés. Il vaudrait mieux taire que parler mais j’ai besoin de parler, de déterrer, de faire des fouilles archéologiques, de comprendre ces angoisses profondes. Au fur et à mesure de ce travail des changements imprévus sont apparus dans ma famille qui me touchaient de près et de loin, plus ou moins forts émotionnellement. Un jour une cousine m’appelle et me révèle un secret, je m’écroule psychiquement. J’interroge autour de moi, je me débats puis le soufflet redescend et tout redevient silencieux. Mais maintenant je sais. Un autre jour, je découvre qu’un de mes oncles est le demi-frère du reste de la fratrie de mon père. Il ne porte pourtant pas le même nom de famille, j’aurais dû m’en douter, mais je n’avais pas réalisé combien ce “point de détail” était important pour mettre de l’ordre dans ma façon de voir le monde, de placer de justes frontières à ma vie intérieure.
Plus je mets le projecteur sur ma famille proche et élargie, plus je vais mal. J’essaie d’en tirer un parti positif : c’est nécessaire. Nécessaire mais douloureux. Je plonge dans les dédales des émotions qui surgissent, qui se parlent enfin mais que je vis aussi dans mon corps. Je suis dans le ventre de la bête. La surface lisse de l’histoire racontée ne tient pas face au vécu émotionnel. Les émotions ne mentent pas, on peut toujours les nier un temps mais elles tombent juste et alertent. Elles permettent de se sentir vivant, d’éprouver la vie. Une cousine me confie un cahier réalisé par mon arrière-grand-mère paternelle pour son fils, mon grand-père, de la généalogie et des histoires de la famille. Je m’inspire de sa présentation pour la réalisation plastique de mon tableau. Elle utilise une disposition en arc de cercle pour symboliser les générations ce qui m'évoque un ventre, l’intérieur d’un utérus. Je me sers de cette représentation pour dessiner le fond du tableau. J’y place un arbre-cordon ombilical. Les couleurs me semblent devoir être à la fois organiques, végétales et rêvées : rose-rouge-marron pour évoquer l’enracinement dans la famille dans-laquelle on naît, dont on se nourrit, qui est notre terreau. Il y a une part de fatalité dans cette génétique et dans l’héritage des relations familiales d’où l’importance de connaître son héritage pour sortir de la fatalité.
A la fin de la première journée de travail, je prends du recul et une amie de Joëlle passe la voir, et voit ce que je peins. Elle me fait un retour intéressant : cela manque de lumière. Le lendemain matin je vais acheter du rose fluo avant de me remettre à peindre le fond. Puis je restructure l’arbre-cordon ombilical. Vient le moment où j’écris le nom des personnes de ma famille au pinceau. Je me concentre sur les liens, le travail est facile, je l’ai déjà réalisé plusieurs fois.
Puis vient un moment curieux où je veux représenter le frère qui est mort avant moi, alors qu’il avait 5 mois de vie intra-utérine mais qui n’a pas de nom. Je me tourne vers Joëlle. Comment le faire apparaître ici, il n’a pas de nom. Naturellement elle me répond : “Le Petit Prince !”




